proposition de loi du député Jean Laussucq

Et si la mensualisation du salaire, pilier du droit du travail français depuis 1978, était sur le point d’être assouplie ? Une proposition de loi portée par le député Jean Laussucq (Ensemble pour la République) pourrait bien remettre en question l’un des acquis sociaux majeurs du XXe siècle en France : le versement unique du salaire en fin de mois.

L’objectif affiché est de lutter contre les fins de mois difficiles en donnant aux salariés la possibilité de percevoir leur rémunération en plusieurs fois. Un principe qui semble séduire, notamment chez les jeunes actifs, mais qui n’est pas sans conséquences.

Contexte économique : une pression croissante sur le budget des ménages

Selon une étude CSA Research, 22% des Français sont à découvert chaque mois ou presque, et ce à partir du 16 du mois en moyenne. Les jeunes sont particulièrement exposés : 29 % des 18-24 ans et 35 % des 25-34 ans tombent régulièrement dans le rouge, tout comme 34 % des parents d’enfants en bas âge.

Cette précarité financière du quotidien coûte cher : les Français déboursent chaque année près de 7 milliards d’euros en frais bancaires et agios, selon Jean Laussucq. Pour nombre de salariés, l’attente de la fin du mois pour être payé ne correspond plus à la réalité de leurs dépenses, souvent fixes et réparties dès le début du mois.

déclaration de Jean Laussucq sur X

Une demande croissante de flexibilité dans la gestion salariale

Les chiffres sont parlants : 63% des salariés souhaitent être payés plus fréquemment qu’une fois par mois, selon une étude OpinionWay pour Stairwage. Ce pourcentage grimpe à 75% chez les moins de 35 ans. Le besoin exprimé est clair : plus de souplesse pour mieux gérer son budget, faire face à des imprévus ou encore éviter le recours aux crédits à la consommation.

Certaines entreprises l’ont compris et s’équipent déjà de solutions comme Stairwage ou Rosaly, des plateformes qui permettent un accès anticipé au salaire. Ces solutions, bien que marginales (environ un millier d’entreprises concernées), révèlent une transformation profonde des attentes des salariés.

Une idée inspirée du modèle américain

Aux États-Unis, le versement mensuel est l’exception. La majorité des salariés sont payés de facon hebdomadaire ou deux fois par mois. Cette fréquence s’explique autant par la culture du travail que par un système bancaire très orienté vers le crédit court terme.

Les entreprises américaines ont depuis longtemps adapté leurs systèmes de paie à cette réalité. Résultat : les salariés disposent d’un accès régulier à leur rémunération, ce qui facilite le pilotage du budget personnel. Ce modèle séduit de plus en plus en Europe, notamment dans les secteurs à faible revenu ou à forte rotation de personnel (turn over).

La loi de 1978 : un socle protecteur à préserver ?

Instaurée en 1978, la mensualisation visait à protéger les salariés contre les aléas du calendrier. Elle permet de lisser les salaires, quels que soient le nombre de jours ouvrés dans le mois, et garantit la stabilité des revenus, même en cas de jours fériés ou de maladie.

Revenir sur ce système pose des risques réels :

  • Le danger de percevoir tout ou partie du salaire trop tôt, au risque de ne plus pouvoir honorer des dépenses fixes comme le loyer

  • Une possible fragilisation du pouvoir d’achat, surtout pour les personnes les moins rigoureuses dans la gestion budgétaire

  • Une complexification des processus administratifs pour les entreprises, qui devraient adapter leurs systèmes comptables, multiplier les virements et gérer des flux de trésorerie plus fréquents

Une réforme à double tranchant pour les entreprises

Si la loi devait être adoptée, les employeurs devront faire face à de nouveaux enjeux organisationnels :

  • Revoir la fréquence des virements

  • Mettre à jour les logiciels de paie

  • Assurer la conformité réglementaire

  • Gérer la charge de travail accrue pour les services RH et comptabilité

Ces ajustements pourraient s’avérer coûteux, notamment pour les petites structures peu digitalisées. Pourtant, ne pas proposer cette flexibilité pourrait aussi freiner l’attractivité des entreprises, notamment dans les secteurs en tension.

Et pour les chercheurs d’emploi ?

Pour les personnes en recherche d’emploi, cette évolution soulève plusieurs pistes de réflexion :

  • Mieux gérer sa trésorerie dès la reprise d’un poste, sans attendre la fin du mois pour percevoir son premier salaire

  • Choisir un employeur offrant la flexibilité salariale comme critère de bien-être et de confiance

  • Limiter l’endettement à court terme, souvent coûteux, en accédant plus rapidement à son dû

Les candidats devront cependant rester attentifs : la fréquence de versement n’influe pas sur le montant du salaire, mais elle peut avoir un impact psychologique et pratique significatif dans la gestion du quotidien.

Vers une paie "à la carte" ?

La proposition de loi portée par Jean Laussucq ouvre un débat crucial sur l’adaptation du droit du travail aux réalités économiques contemporaines. Si elle vise à améliorer le pouvoir d’achat immédiat, elle doit trouver un équilibre entre souplesse individuelle et stabilité collective.

Pour les salariés comme pour les demandeurs d’emploi, ce débat met en lumière un enjeu fondamental : reprendre le contrôle sur ses finances à l’heure où les dépenses courent plus vite que les salaires. Mais la voie vers la flexibilité salariale devra être balisée avec rigueur pour éviter que la promesse d’autonomie ne se transforme en piège budgétaire.